Aujourd’hui, mon marin devait rentrer de mer. Mais, à 22h, il faut que je me rende à l’évidence : je vais encore avoir toute la place dans le lit cette nuit…
Il y a quelques années, j’aurais été effondrée. J’aurais pesté contre la Marine, j’aurais râlé sur mon marin, pourtant aussi navré que moi de cet imprévu. Peut-être aurais-je pleuré une partie de la nuit.
Il y a quelques mois, dans la course effrénée quotidienne, j’aurais paniqué de ce changement de plan. Le stress de ces journées supplémentaires sans son précieux soutien m’aurait envahie.
Mais j’apprends. Chaque jour, je gagne en sérénité pour affronter ces situations. D’ailleurs, pour l’anecdote, avant son départ je lui avais dit que le planning allait être chamboulé. Une intuition. Ou l’habitude peut-être. Quoi qu’il en soit, ce soir, je ne suis ni triste, ni en colère, ni même stressée. Déçue bien sûr. Mais ça passera.
Pourquoi ? Parce que j’ai acquis en indépendance affective. Et, quand j’écoute Paul décrire son parcours, je me dis que l’indépendance affective et l’autonomie quotidienne sont les clés pour (sur)vivre avec la Marine.
Contrairement à Loïc, premier marin à témoigner sur le blog, Paul connaissait déjà sa (future) épouse lorsqu’il s’est engagé. A 36 ans, marié et père de deux enfants, il a construit sa carrière et sa famille en même temps. Officier marinier, il est aujourd’hui affecté dans une unité de la Force d’Action Navale.
Engagement, carrière, absences, il nous explique comment lui et les siens trouvent leur équilibre.
L’Armée, un rêve de gosse
Peux-tu nous parler de ton parcours avant d’intégrer la Marine ?
Cela va bientôt faire 15 ans que j’ai rejoint l’institution. A vrai dire, j’ai toujours eu en tête d’intégrer les Armées. A 10 ans, je voulais être gendarme. Mais, à 18 ans, alors que je préparais les concours pour intégrer l’école qui me permettrait de devenir officier de gendarmerie, j’ai appris qu’un problème de vue m’en empêcherait.
J’ai donc décidé de postuler à l’école de Maistrance et, dans l’attente de l’instruction de mon dossier, je me suis inscrit à la fac. Finalement, je m’y suis plu et, malgré mon admission à Maistrance, j’ai choisi de rester à l’université.
Sauf qu’une réforme universitaire a provoqué la disparition de la filière dans laquelle je m’étais engagé ! C’était le déclic : j’ai ressenti le besoin de rejoindre la vie active et j’ai donc finalement intégré l’école de maistrance en 2005, à 21 ans.
A ce moment là, quelle était ta situation personnelle ?
Quand j’ai fait le choix de rejoindre la Marine, j’étais déjà en couple avec celle qui allait devenir ma femme. Nous étions ensemble à l’université, nous habitions ensemble. Pour autant, chacun avait ses propres perspectives de carrière et il n’était pas question pour nous que l’un ou l’autre fasse des sacrifices de ce côté là.
Après deux ans de vie commune en tant qu’étudiants, nous avons donc entamé une longue période de célibat géographique. Six ans exactement, afin que chacun se forme et s’épanouisse dans son domaine professionnel.
Un boulot ordinaire, dans un environnement extraordinaire
Comment concilies-tu ta carrière militaire et ta vie personnelle et familiale ?
Honnêtement, cela ne me pose pas de difficulté particulière. Le fait d’être marin n’a jamais entravé le développement de ma vie personnelle. Et, à l’inverse, ma vie familiale n’a pas non plus été un frein pour ma carrière militaire.
Bien sûr, j’ai fait des choix en prenant en compte les paramètres de ma vie familiale, notamment celui de ne pas solliciter de mobilité géographique. Nous nous plaisons dans la région où nous sommes, ma femme y travaille. Elle pourrait sans doute exercer dans un autre port mais nous ne projetons pas notre vie de famille ailleurs.
Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais eu à renoncer à une opportunité qui me tenait à coeur, ni négligé mon épanouissement professionnel. Je n’ai fait aucun choix par dépit.
Ta perception de ta carrière a-t-elle changé depuis que tu t’es engagé ?
Quand je me suis engagé, je n’avais pas forcément de vision à très long terme de ma carrière. D’ailleurs, 15 ans après je n’en ai toujours pas ! En fait, tant que le conglomérat vie pro / vie perso fonctionne, je continue sur ma lancée.
Qu’est-ce qui te plait dans ton quotidien de marin ?
Je fais un boulot ordinaire, qui existe dans le civil, mais avec un niveau d’emploi et des responsabilités que je n’y aurais pas, compte tenu de mon niveau d’études.
De plus, je travaille dans un environnement extraordinaire, où la monotonie n’existe pas. Dans le civil, j’exercerais dans un bureau, le même bureau tous les jours. Moi, mon bureau c’est un bâtiment de combat et il se déplace dans le monde entier !
Et, pour ne rien gâcher, j’ai un niveau de salaire honnête compte tenu de mes diplômes et au regard des postes similaires dans le coin.
Tout semble parfaitement se combiner pour toi et les tiens. Est-ce que tu rencontres néanmoins certaines difficultés ?
Evidemment, le métier de militaire est soumis à une contrainte majeure : l’évolution incessante de nos programmes d’activités, avec de faibles voire très faibles préavis. Cette difficulté complique l’organisation familiale et impacte la vie sociale du foyer. Prévision de vacances, événements familiaux… tout est susceptible d’être chamboulé.
Ton marin a un changement de planning ? Tu ne sais pas comment t’organiser pour vos vacances ? Je t’en dis plus ici.
L’arrivée des enfants change un peu la donne aussi, surtout quand ils sont en âge de ressentir le manque et l’absence du parent parti en mission. Ce n’est pas toujours évident de leur expliquer.
Les bons tuyaux du marin
Quand tu es en mission, qu’est-ce qui t’aide à vivre la séparation ?
Personnellement, ce qui m’aide le plus, c’est d’être rassuré et de savoir que tout va bien à la maison. Même si ce n’est pas le cas. Ma femme a cette capacité de ne pas laisser transparaître les difficultés ou la fatigue à la maison.
Je sais et suis conscient qu’il y a des moments difficiles pour elle et les enfants. Certainement plus difficiles que la majorité de notre quotidien en déploiement d’ailleurs. Mais, quoi qu’il arrive (hormis événements très graves, et encore…), le marin ne peut pas rentrer en un claquement de doigt ! C’est pour cela que chacun.e doit assumer en autonomie les difficultés qu’il.elle rencontre.
Savoir que mon épouse “craque” alors que je ne pourrai rien faire pour elle est ce que je redoute le plus. C’est pour cela que c’est très important et très rassurant pour moi de savoir qu’elle est bien entourée, par nos amis, nos familles.
En prévision des absences, que fais-tu pour simplifier les choses pour tes proches ?
A vrai dire, pas grand chose. On essaie de préparer les enfants au départ, à l’absence plus ou moins longue. Je leur parle de ce que je vais faire, dans la mesure de ce que je peux communiquer. Les rassure sur le fait que, j’ai beau être militaire, je ne vais pas travailler au milieu d’un champ de bataille.
Et je leur dis que je les appellerai régulièrement, ce à quoi je m’astreins dès que c’est possible.
Une femme indépendante mais entourée
Et pendant les missions ?
En mission, je communique assez souvent. Par téléphone lorsque j’embarque sur un bateau moderne, par mails quand j’ai navigué sur les plus vieux et plus petits. Jusqu’à présent, dans les déploiements que j’ai effectués, j’ai réussi à donner des nouvelles presque tous les jours.
Si toutefois une rupture de liaison est programmée, je préviens mes proches. Le but est de laisser le moins possible de place au doute, et donc à l’inquiétude.
Ton marin ne peut pas communiquer régulièrement ? Tu as du mal à supporter l’absence de nouvelles ? Tu trouveras des conseils dans cet article.
Et, pour ce qui concerne la vie du foyer, dans la mesure du possible, je continue de gérer l’administratif. En escale, on trouve internet partout dans le monde donc ça me permet de m’occuper des comptes, des impôts, du paiement des factures éventuelles ou encore des démarches auprès des banques et assurances par exemple.
Quel message voudrais-tu faire passer aux femmes de marin qui lisent le blog ?
Marin est un métier qui comporte des contraintes, comme plein d’autres. Dans certains métiers, la pression des objectifs ou l’exigence de rentabilité est un fardeau. Pour d’autres, c’est l’insécurité de l’emploi.
Dans notre cas, le plus compliqué à gérer est certainement l’absence plus ou moins longue, à répétition et sous faible préavis. Mais les militaires ne sont pas les seuls à avoir de tels impératifs.
Pour ne pas vivre cette situation comme un fardeau insurmontable, il faut savoir être indépendante et autonome. Mais il est également nécessaire de bien s’entourer et, surtout, de ne pas avoir peur ou honte de demander de l’aide à ses proches ! En général, ils comprennent très bien la situation.
Tu ne sais pas comment faire passer le message à tes proches ? Ils sont loin et ne voient pas comment t’aider ? Transmets leur l’article 6 façons d’aider une femme dont le marin est en mission, ils trouveront sûrement quelques idées.
Et à la tienne en particulier ?
Elle est formidable ! Elle fait très bien le “job”. Grâce à elle, je pars toujours serein en mission.
Pour aller plus loin
Comme Paul l’a souligné, la plupart du temps, le marin n’a que peu de leviers pour venir en aide à sa famille quand il est en mission. Pendant les absences, nous, familles, pouvons nous adresser au service d’Action Sociale des Armées (ASA), qui mettra tout en oeuvre pour apporter le soutien nécessaire.
Et je viens de découvrir qu’il existe même un portail e-social des armées, plutôt bien fait, sur lequel on peut notamment trouver les coordonnées du Centre d’Action Sociale le plus proche.
Comme Paul, ton marin a besoin d’être rassuré pendant ses absences ? Comment t’y prends-tu pour donner le change ? Donne-nous tes astuces en commentaire ! Au contraire, ton marin veut tout savoir de la vie de la maison ? Tu as besoin de partager tes difficultés quotidiennes avec lui ? Fais-nous part de ton expérience.