Dans un précédent article, je t’ai parlé d’Amandine. Souviens-toi, Amandine est mariée à Arthur et a abandonné sa vocation d’avocate pour le suivre au gré de ses affectations. Mais elle est rongée par une rancune sourde, elle qui a, pour ainsi dire, tout abandonné pour lui.
Alors, certes, sa grand-mère lui rappelle régulièrement qu’elle savait à quoi elle s’exposait en épousant un militaire. Elle savait que l’Armée régirait une partie de sa vie. Pourtant, elle ne comprend pas toujours le dévouement d’Arthur pour cette institution ! Comment a-t-il pu ne serait-ce que faire ce choix de vie ? Il savait bien qu’il en prenait pour de longues années !
Quand les déploiements approchent, elle a l’impression qu’il est content de partir. Cela la blesse. Elle a la sensation qu’il ne cherche pas à faire passer leur famille avant son boulot. Car oui, au fond, pour elle, c’est seulement un BOU-LOT !
Et quand elle cherche à en savoir plus auprès de lui, Arthur s’agace. C’est comme ça, c’est l’Armée, on ne discute pas.
Le point de vue du marin
Tu le sais, Dans le même bateau est essentiellement destiné aux femmes de marin. Néanmoins, il me semblait indispensable de donner la parole aux principaux intéressés. Après tout, sans eux, ce blog n’existerait pas. Et surtout, c’est pour eux que nous vivons cette vie. Ce sont donc eux les plus à même de nous expliquer leurs choix. Ces choix qui nous engagent avec eux. De nous rassurer sur notre place dans leur vie aussi. Et de nous raconter en quoi notre présence à leurs côtés est un atout.
Je profite donc de cette semaine de fête des pères pour lancer la rubrique « Le point de vue du marin ». Partons à la rencontre de Loïc (prénom d’emprunt), 34 ans, officier marinier sur un bâtiment de surface, marié et papa de deux jeunes enfants.
La première question, celle qu’on se pose toutes je crois : pourquoi t’es tu engagé dans la Marine ?
Si je me suis engagé, c’est par envie d’exotisme et d’aventure. Et c’était aussi une bonne opportunité de quitter le nid familial ! La Marine me permettait de rapidement gagner en autonomie, ce à quoi j’aspirais.
J’étais jeune, je n’aspirais à rien d’autre. J’avais bien conscience que ce choix m’engageait potentiellement à long terme, mais je ne me projetais pas plus loin. Je n’avais, à cette époque, pas conscience que ce choix de post-ado allait autant impacter ma vie d’adulte et celle de ceux qui m’entourent aujourd’hui.
Quel y a été ton parcours jusqu’à aujourd’hui ?
Je me suis engagé directement après mon bac. J’ai alors signé un premier contrat de 10 ans, qui commençait par 6 mois de cours à l’école de maistrance, à Brest. Cette première formation est commune à toutes les spécialités et vise à dispenser les bases indispensables à tout marin. A l’issue, j’ai rejoint Toulon pour une première affectation de 4 ans, avec notamment mon cours de spécialité.
Breton d’origine, j’ai pu remonter à Brest en 2008. Et je suis passé militaire de carrière un an après.
Après 16 ans de service, j’y suis toujours, essentiellement dans le cadre d’affectations embarquées, surface.
Ta carrière militaire a-t-elle été un frein dans le développement de ta vie personnelle ?
Quand je me suis engagé, j’avais 18 ans. J’étais célibataire et sans enfant. Toute ma vie était à construire. En ce sens, l’engagement offre une autonomie financière qui permet de cocher pas mal de cases.
J’ai pu rapidement financer mon permis de conduire et m’offrir ma première voiture. A 23 ans, j’étais propriétaire de mon appartement. Rien à voir avec les potes de lycée que je recroisais !
Au niveau affectif, c’est différent, j’étais moins pressé de cocher les cases ! Entre 18 et 25 ans, je ne me projetais pas dans une vie de couple ou de famille, donc les contraintes de l’institution n’en étaient pas réellement. J’étais hyper motivé par le boulot, j’ai enchaîné les formations et les missions. Cela ne posait aucune difficulté car j’étais libre de toute attache familiale formelle.
Et c’est au moment où j’ai commencé à me projeter sur ce sujet que j’ai rencontré celle qui allait devenir ma femme. Finalement, les choses se sont bien goupillées pour moi ! Mais il est certain que les contraintes de notre quotidien de marin embarqué peuvent freiner certains projets affectifs.
Ta perception de ta carrière a-t-elle changé depuis que tu es en couple ?
Evidemment ! J’ai désormais des attaches affectives. Partir longtemps est devenu plus difficile. L’hyper motivation des débuts a laissé place à des sentiments plus mitigés, partagés entre l’excitation liée aux missions et le manque de ceux qu’on laisse.
D’ailleurs quand j’ai rencontré ma femme, j’étais volontaire pour une campagne outre-mer. J’ai rapidement modifié mes desiderata pour être certain de ne pas m’éloigner, ce qui aurait mis un frein d’emblée à notre relation.
Plus tard, pour construire notre famille, nous avons fait le choix de demander une affectation à terre. Je dis « nous » car c’était vraiment une décision prise ensemble, au service d’un objectif commun. Pourtant, on s’est vite rendu compte que ça n’allait pas le faire ! Pour faire simple, le boulot ne me plaisait pas. Je rentrais de mauvaise humeur à la maison. La conséquence positive recherchée n’était pas du tout au rendez-vous, ce dont nous avons rapidement convenu tous les deux. A la première occasion, j’ai réembarqué.
Et à l’arrivée des enfants, a-t-elle encore évolué ?
C’est sûr. D’ailleurs, je dirais que le gros switch est intervenu à la naissance de notre premier enfant. Pour moi, il était évident que la famille devait passer en premier, que ce soit dans les perspectives d’affectations ou les opportunités de déploiements.
Mais, quelles que soient nos priorités, il faut admettre que la vie professionnelle ne se fait jamais oublier bien longtemps… Il faut jongler entre les impératifs familiaux et ceux de l’Armée. Car, non, ce n’est pas qu’un boulot. En tout cas, moi, je ne peux pas me lever le matin pour y aller en me disant que ce n’est qu’un job alimentaire, tellement cela demande d’engagement.
Par contre, avec le recul de mes 16 années de service, je me sens plus libre de rendre compte de mes contraintes familiales au commandement. Car, contrairement à ce que l’image de l’institution peut laisser penser, la hiérarchie est sensibilisée à la prise en compte des enjeux personnels.
Entre les absences et le quotidien familial, on peut vite délaisser le couple. Le temps disponible à deux devient une chose rare. Il faut savoir optimiser ces moments.
Une chose est sûre, c’est que je m’attache à associer ma femme à chaque décision de carrière. D’ailleurs, mon envie, toujours présente, de séjour outre-mer est devenue un vrai projet de famille.
On l’a compris, avec une famille, la vie de marin est plus difficile. Pourtant, tu n’envisages pas de faire autre chose. Qu’est-ce qui te plait dans ton quotidien de marin ?
Déjà, j’aime mon boulot en lui-même. C’est un travail de technicien, dans le cadre duquel je suis largement responsabilisé. C’est motivant et valorisant. Je sais que, à terre ou dans le civil, je ne pourrais pas exercer avec le même niveau de responsabilités. Et techniquement, mon quotidien serait nettement moins varié.
Par ailleurs, pour moi la vie d’équipage est un véritable support à l’épanouissement professionnel. A bord, le travail d’équipe prend tout son sens. On est tous « dans le même bateau » en fait ! Nous partageons les mêmes contraintes et les mêmes temps forts. Nous travaillons et vivons ensemble donc les relations sont, de fait, plus nourries.
Alors, c’est vrai, d’une façon générale, avec mes attaches familiales, les déploiements sont moins faciles. Ceci étant, l’opportunité d’une mission dans des eaux que je ne connais pas m’attire toujours autant.
Concrètement, quelles sont les principales difficultés pour toi ?
La difficulté majeure repose sur la volatilité des plannings. A courte ou longue échéance, il y a peu de données fiables puisque l’activité des bateaux dépend souvent de l’actualité et d’enjeux qui nous dépassent.
Par exemple, je me souviens d’un été où nous pensions profiter tranquillement de quelques semaines de perm’s. Résultat, le téléphone a sonné alors que nous venions de planter le dernier piquet de la tente. Le lendemain, j’étais parti pour un mois…
Alors, oui, avec le temps, on apprend à vivre avec. A moduler la “vie normale” en fonction des impératifs opérationnels. Mais il est certain que c’est une contrainte pour toute la famille.
Les bons tuyaux du marin
Quand tu es en mission, qu’est-ce qui t’aide à vivre la séparation ?
Sans hésiter, les photos et vidéos ! Je peux les regarder très facilement sur mon téléphone quand je suis dans ma bannette. Il faut dire que, jusqu’à présent je n’ai jamais été affecté sur des bateaux “modernes”. Donc nos capacités de transmission sont modestes. Il est impossible de passer un coup de fil à la maison ! Heureusement, en escale l’accès au wifi est globalement plus facile qu’il y a 10 ans.
Pendant les longues missions, nous avons également pris l’habitude avec ma femme d’organiser un projet à distance, par mails. Le premier a été notre mariage. Depuis nous continuons avec des voyages. Cela nous permet de continuer à construire ensemble notre vie de famille, même pendant l’absence.
Sans parler du fait que ça nous donne matière à échanger ! Comme nous ne pouvons pas communiquer sur le quotidien de la mission, et même si mon fils adore savoir ce que j’ai mangé, les informations que je suis en mesure de donner sont rapidement limitées. Météo et ambiance à bord ne suffisent pas à nourrir des échanges soutenus et enrichissants pour tout le monde. Alors ces projets sont un bon fil rouge, que nous sommes contents de concrétiser à mon retour.
En prévision des missions, que fais-tu pour simplifier les choses pour ta famille ?
Dans les semaines qui précèdent un départ, sans trop le vouloir je me mets à faire de plus en plus de trucs à la maison. Ce qui ne manque pas d’agacer ma femme d’ailleurs ! Elle préférerait qu’on profite de ce temps en famille. Et sans doute que ça lui rappelle un peu trop l’imminence du départ.
Je m’attache quand même à anticiper les affaires courantes : impôts, banque, procurations diverses, entretien des voitures… Tout ce qu’il faut pour limiter les mauvaises surprises en mon absence.
Dans l’idéal, on essaye de se garder un week-end en amoureux avant le départ. Mais le planning opérationnel ne nous en laisse pas toujours l’opportunité.
Quant aux enfants, je leur explique que je pars. J’identifie avec eux sur un calendrier les dates clés de la mission. J’enregistre également quelques vidéos que ma femme peut leur montrer pendant la mission, notamment une petite vidéo de bonne nuit qu’ils ont plaisir à regarder pendant le rituel du coucher. Sans oublier des vidéos en prévision de leurs anniversaires s’ils tombent pendant la mission. Il m‘arrive d’enregistrer la lecture d’histoires avec StoryEnjoy.
Et pendant les déploiements ?
Pendant la mission, c’est plus difficile. Quand je peux avoir un réseau wifi suffisamment fiable en escale, je les appelle bien sûr.
Dans tous les cas, j’envoie une carte postale aux enfants à chaque escale. J’ai une appli qui me permet de créer une carte postale à partir d’une photo. Ils adorent recevoir du courrier avec la tête de papa en escale, ou le doudou qu’ils m’ont confié le temps de la mission qui fait du bateau !
Quel message voudrais-tu faire passer aux femmes de marin qui lisent le blog ?
Je crois que le principal enjeu, c’est de trouver un équilibre. Et chaque couple a le sien. Ce qui est sûr, c’est que toutes les parties doivent être satisfaites, sinon ça ne peut pas marcher à long terme.
Il faut se faire confiance. Et être assuré.e que chacun.e fait de son mieux pour le bien de la famille.
Et à la tienne en particulier ?
Je suis conscient de ses sacrifices, et de l’impact de mon engagement sur sa vie à elle. Je la remercie de me suivre là-dedans.
Pour aller plus loin
On le sait, l’engagement du marin impacte la vie de toute la famille.
A notre niveau, et comme Laura, dans son témoignage, et Loïc nous le rappellent, nous pouvons mettre en place des petites astuces pour simplifier les absences. Fizzer, par exemple, est un bon allié pour le marin qui souhaite écrire à ses proches.
De son côté, le Ministère des Armées en est également conscient et déploie, dans le cadre du Plan Famille, divers dispositifs destinés à simplifier le quotidien.
On trouve notamment un guide, édité par la Caisse Nationale Militaire de Sécurité Sociale (CNMSS), qui compile l’ensemble des structures et dispositifs accessibles aux militaires et leurs familles. Tu le trouveras ici.
Plus spécifique, l’organisme gouvernemental Famille de Marins s’adresse, comme son nom l’indique, aux familles des militaires servant au sein de la Marine Nationale. Ils ont développé un kit pour les enfants, présenté dans cette vidéo.
Et chez toi, comment se passe la conciliation entre la vie de famille et les impératifs de la Marine ? Fais-nous par de ton expérience en commentaire, ou contacte moi pour la partager dans un prochain article !